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DE L’ESPRIT DES LOIS.


et exposés à la plus petite action des objets les plus foibles. Dans les pays froids, le tissu de la peau est resserré, et les mamelons comprimés ; les petites houppes sont, en quelque façon, paralytiques ; la sensation ne passe guère au cerveau que lorsqu’elle est extrêmement forte, et qu’elle est de tout le nerf ensemble. Mais c’est d’un nombre infini de petites sensations que dépendent l’imagination, le goût, la sensibilité, la vivacité.

J’ai observé le tissu extérieur d’une langue de mouton, dans l’endroit où elle paroît, à la simple vue, couverte de mamelons. J’ai vu avec un microscope, sur ces mamelons, de petits poils ou une espèce de duvet ; entre les mamelons étoient des pyramides, qui formoient par le bout comme de petits pinceaux. Il y a grande apparence que ces pyramides sont le principal organe du goût.

J’ai fait geler la moitié de cette langue, et j’ai trouvé, à la simple vue, les mamelons considérablement diminués ; quelques rangs même de mamelons s’étoient enfoncés dans leur gaine. J’en ai examiné le tissu avec le microscope, je n’ai plus vu de pyramides. A mesure que la langue s’est dégelée, les mamelons, à la simple vue, ont paru se relever ; et, au microscope, les petites houppes ont commencé à reparoître.

Cette observation confirme ce que j’ai dit, que, dans les pays froids, les houppes nerveuses sont moins épanouies : elles s’enfoncent dans leurs gaines, où elles sont à couvert de l’action des objets extérieurs. Les sensations sont donc moins vives.

Dans les pays froids on aura peu de sensibilité pour les plaisirs ; elle sera plus grande dans les pays tempérés ; dans les pays chauds, elle sera extrême. Comme on distingue les climats par les degrés de latitude, on pourroit