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CHAPITRE XVII.


DE L'AUGMENTATION DES TROUPES.


Une maladie nouvelle s’est répandue en Europe ; elle a saisi nos princes, et leur fait entretenir un nombre désordonné de troupes. Elle a ses redoublements, et elle devient nécessairement contagieuse : car, sitôt qu’un État augmente ce qu’il appelle ses troupes, les autres soudain augmentent les leurs, de façon qu’on ne gagne rien par là que la ruine commune. Chaque monarque tient sur pied toutes les armées qu’il pourroit avoir si ses peuples étoient en danger d’être exterminés ; et on nomme paix cet état [1] d’effort de tous contre tous. Aussi l’Europe est-elle si ruinée, que les particuliers qui seroient dans la situation où sont les trois puissances de cette partie du monde les plus opulentes [2], n’auroient pas de quoi vivre. Nous sommes pauvres avec les richesses et le commerce de tout l’univers ; et bientôt, à force d’avoir des soldats, nous n’aurons plus que des soldats, et nous serons comme des Tartares [3].

Les grands princes, non contents d’acheter les troupes

  1. Il n'est vrai que c’est cet état d’effort qui maintient principalement l’équilibre, parce qu’il éreinte les grandes puissances. (M.)
  2. L’Angleterre, la France, la Hollande. Inf., XXI, XXI.
  3. Il ne faut, pour cela, que faire valoir la nouvelle invention des milices établies dans presque toute l’Europe, et les porter au même excès que l’on a fait les troupes réglées. (M.)