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CHAPITRE XXVII.


DES MŒURS DU MONARQUE.


Les mœurs du prince contribuent autant à la liberté que les lois ; il peut, comme elles, faire des hommes des bêtes, et des bêtes faire des hommes. S’il aime les âmes libres, il aura des sujets ; s’il aime les âmes basses, il aura des esclaves. Veut-il savoir le grand art de régner : qu’il approche de lui l'honneur et la vertu, qu’il appelle le mérite personnel. Il peut même jeter quelquefois les yeux sur les talents [1] Qu’il ne craigne pointées rivaux, qu’on appelle les hommes de mérite ; il est leur égal, dès qu’il les aime. Qu’il gagne le cœur, mais qu’il ne captive point l’esprit [2]. Qu’il se rende populaire. Il doit être flatté de l’amour du moindre de ses sujets ; ce sont toujours des hommes. Le peuple demande si peu d’égards, qu’il est juste de les lui accorder : l’infinie distance qui est entre le souverain et lui, empêche bien qu’il ne le gêne. Qu’exorable à la prière, il soit ferme contre les demandes ; et qu’il sache que son peuple jouit de ses refus, et ses courtisans de ses grâces [3].

  1. En écrivant cette phrase où l'on sent un fonds d'amertume, on peut croire que Montesquieu songeait au désir qu'il avait eu d*entrer dans la diplomatie, désir que le gouvernement s'était bien gardé d’accueillir. Voyez la Lettre à l’abbé d'Olivet, dans la Correspondance.
  2. Nous dirions aujourd’hui : qu’il n’asservisse point l’esprit.
  3. Lettres persanes, CXXIV.