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CHAPITRE XXIV.


DES LETTRES ANONYMES.


Les Tartares sont obligés de mettre leur nom sur leurs flèches, afin que l’on connoisse la main dont elles partent. Philippe de Macédoine ayant été blessé au siège d’une ville, on trouva sur le javelot : Aster a porté ce coup mortel à Philippe [1]. Si ceux qui accusent un homme le faisoient en vue du bien public, ils ne l'accuseroient pas devant le prince, qui peut être aisément prévenu, mais devant les magistrats, qui ont des règles qui ne sont formidables qu’aux calomniateurs. Que s’ils ne veulent pas laisser les lois entre eux et l’accusé, c’est une preuve qu’ils ont sujet de les craindre ; et la moindre peine qu’on puisse leur infliger, c’est de ne les point croire. On ne peut y faire d’attention que dans les cas qui ne sauroient souffrir les lenteurs de la justice ordinaire, et où il s’agit du salut du prince [2]. Pour lors, on peut croire que celui qui accuse a fait un effet qui a délié sa langue, et l'a fait parler. Mais, dans les autres cas, il faut dire avec l’empereur Constance : « Nous ne saurions soupçonner celui à qui il a manqué un accusateur, lorsqu’il ne lui manquoit pas un ennemi [3]. »

  1. Plutarque, Œuvres morales, Collat, de quelques histoires romaines et grecques, t. II, p. 487. (M.)
  2. Ceci me paraît une de ces réserves prudentes qui voilent par moment la pensée de l'auteur. V. Sup., ch. V. note 1.
  3. Leg. 6, Cod. Théod. de famos. libellis. (M.)