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LXIV
INTRODUCTION


des nuages ; on est sur la terre, au milieu des choses, en face des difficultés réelles. La politique n’est pas un rêve plus ou moins ingénieux ; c’est la science et l’art du gouvernement ; science d’observation, pratique des plus délicates, mais qui par cela même a une tout autre grandeur que les fantaisies des théoriciens les plus hardis. Les systèmes passent, l’observation reste ; c’est là ce qui fait l’immense supériorité de Montesquieu sur tous ces critiques qu’on ne lit plus.

Parlerai-je de la Réfutation de la doctrine de Montesquieu sur la balance des pouvoirs, publié en 1816 par M. le comte de Saint-Roman, pair de France [1] ? Le nom de Montesquieu est là comme une enseigne pour appeler l’attention du lecteur ; au fond, le livre n’est qu’une apologie de la royauté absolue contre les fausses maximes de liberté qui déjà se trouvent chez le respectable Rollin, chez l’éloquent Massillon, chez le vertueux Fénelon. Montesquieu, dit naïvement le noble pair, n’a écrit que de pures spéculations. Lui-même en aurait reconnu l’erreur s’il eût pensé qu’on dût les mettre en pratique [2]. » Un peu plus loin nous apprenons que « ce seroit faire une injure grossière à la suprême sagesse qui a dicté la charte et qui nous l’a donnée (c’est du roi Louis XVIII et non pas de Dieu qu’il s’agit), que de lui faire partager les spéculations bizarres et les pensées hasardées d’un publiciste justement célèbre, mais dont les idées, dans l’immensité de ses travaux, ne portent pas toutes également l’empreinte de la réflexion et de la profondeur [3] ». On m’excusera de n’avoir rien tiré d’un pareil commentaire. M. de Saint-Roman était un pur royaliste ; il avait bien le droit de reprocher à Montesquieu et à Chateaubriand de faire tomber la France dans les pièges de la démocratie. « Pour tout dire, en un mot s’écriait-il, nous revenons en 1793, ou, à bien parler, nous

  1. Un vol. in-8°.
  2. Réfutation, etc. p. 98.
  3. Ibid., p. 107,