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LXIII
A L’ESPRIT DES LOIS.


n’y cherche pas un commentaire sur l’Esprit des lois, mais simplement un essai de politique, la théorie d’un disciple de Condillac et de Condorcet, on le lira avec intérêt. C’est une apologie du régime représentatif par un homme qui n’aime pas l’Angleterre, mais qui a traversé les erreurs politiques de la révolution, et qui a profité de cette rude expérience. Néanmoins les réflexions économiques valent mieux que les jugements politiques ; on y retrouve l’auteur des Éléments d’idéologie qui ont eu leur jour de succès. Le plus grand défaut de M. de Tracy, c’est l'apreté de ses opinions ; on y sent le sectaire, ou plutôt l’écolier qui croit aveuglément ce que son maître lui a dit. Quand il proclame que l'impôt est toujours un mal, il est permis de trouver qu’il va trop loin ; car enfin la sécurité et le bien-être d’un pays ont un prix qu’on peut calculer ; il y a là pour chaque citoyen un service rendu par l’État qui peut excéder de beaucoup le sacrifice exigé. Est-il plus raisonnable.de déclarer que « moins les idées religieuses ont de force dans un pays, plus on y est vertueux, heureux, libre et paisible ? » N’est-ce pas confondre les querelles du clergé avec les bienfaits de la religion ? Est-ce surtout au lendemain de 1792 qu’on peut donner à l'histoire un pareil démenti ?

Depuis quatre-vingts ans nous souffrons de l’esprit révolutionnaire ; qu’est-ce que cet esprit ? Y a-t-il seulement des passions mauvaises qui poussent au renversement des institutions ; n’y a-t-il pas un mélange d’erreurs qui égarent de très-honnêtes gens ? A mon avis, l’esprit révolutionnaire tient à l’école dont M. de Tracy est un des adeptes les plus dévoués. Ces théories vagues que chacun imagine à son gré, inspirent le dégoût de ce qui existe, en promettant à ceux qui souffrent un règne, de justice et de bonheur qui n’appartient pas à l’homme ici-bas. Tous ces adorateurs de l’absolu sont des mécontents incorrigibles ; tout au contraire, un disciple de Montesquieu ne sera jamais un révolutionnaire. Pourquoi ? C’est qu’avec Montesquieu on descend