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LV
A L’ESPRIT DES LOIS.

On peut assurer que Montesquieu n’a jamais tenu un discours sembable ; mais il n’est pas le seul à qui on ait prêté de pareils sentiments. Le Journal de Trévoux, le père Routh, Crévier et bien d’autres n’ont jamais vu qu’un téméraire, un fou, un criminel, dans le philosophe qui a l’audace de chercher la vérité par le seul effort de sa raison.

Aussi faut-il voir de quel ton le professeur de rhétorique traite l'auteur de l’Esprit des lois. Associer la philosophie à la raison pour expliquer l’adoucissement du droit des gens, c’est de l’indifférence. Examiner et comparer les diverses religions du monde, c’est ignoble. Le christianisme exclut toute comparaison : il ne peut être comparé qu’à lui-même [1]. Faire l’éloge de Julien, « cet empereur qui n’avait nulle dignité dans sa conduite ni dans son style », c’est une honte ; l’élever au-dessus de Théodose, c’est de l’indécence [2]. Défendre la tolérance universelle, c’est de l’irréligion caractérisée ; traiter Machiavel et Bayle de grands hommes, c’est montrer qu’on a un faible pour tous ceux qui ont fait profession d’impiété [3].

Le tout finit par une malédiction contre les nouveaux philosophes, « fléaux plus pernicieux au genre humain que les Tamerlan et les Attila [4] » ; malédiction accompagnée, suivant l'usage, d’une prière, « afin que ces apôtres d’irréligion reconnaissent enfin leur aveuglement déplorable, et édifient la société par une abjuration sincère de leurs dogmes funestes ». C’est tout le mal que vous souhaite un chrétien, qui se souvient que vous êtes ses frères, et qui a appris de la loi de Jésus-Christ à vouloir le bien véritable de ceux qui font les plus grands maux. Beatus vir cujus est nomen Domini spes ejus, et non respexit in vanitales et insanias falsas, (Ps. XXXIX, v. 5.) La

  1. Observations, p. 247.
  2. Observations, p. 270.
  3. Observations, p. 271, 273.
  4. Observations, p. 303.