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LIV
INTRODUCTION

Dans la première partie de sa critique, Crévier a souvent raison. Faible dans l'appréciation des faits, et n’ayant pas le coup d’œil politique de Montesquieu (on ne s’en aperçoit que trop en lisant son Histoire des Empereurs), il connaît mieux les textes, et n’a point cette vivacité d’imagination qui a quelquefois entraîné l’auteur de l’Esprit des lois à voir dans Tite-Live ou Tacite ce qui n’y était pas. Nous avons tiré plus d’une note de Crévier, quoiqu’à vrai dire elles ne changent rien à la physionomie générale du livre, mais il est toujours bon de corriger une erreur [1].

Quant à la seconde partie des Observations, elle est amère et violente, sans sortir des lieux communs à l’usage des dévots. Crévier veut bien admettre que Montesquieu montre de l’équité et de la douceur, et qu’il est plein d’humanité, mais il ne peut comprendre qu’un homme de bon sens ose mettre en doute la perfection de l’ordre établi. C’est la vanité qui a égaré Montesquieu. Il a voulu ne point suivre les routes battues. Pour s’éloigner de la façon de penser commune, il a recherché le paradoxe ; il a craint une religion qui l’humiliait [2]. » Chose curieuse, c’est le langage que le jésuite Routh met dans la bouche de Montesquieu mourant ; langage démenti par tous les amis qui veillèrent le président à son lit de mort.


« Il avoua, dit le père Routh, que c’était le goût du neuf, du singulier, le désir do passer pour un génie supérieur aux préjugés et aux maximes communes, l'envie de plaire et de mériter les applaudissements de ces personnes qui donnent le ton à l'estime publique, et qui n’accordent Jamais plus sûrement la leur que quand on semble les autoriser à secouer le joug de toute dépendance et de toute contrainte, qui lui avoient mis les armes à la main contre la religion [3]. »

  1. Deux érudits allemands se sont plu à relever les inexactitudes de Montesquieu. Le premier est J. A. Ernesti, dans ses Animadversiones philologicœ in librum francicum de causis legum ; le second est Chr. G. Heyne, dans ses Opuscula Accademica. Comme Crévier ils ont souvent raison dans le détail ; mais toutes ces critiques ont peu de portée, et n’affaiblissent guère les jugements et les vues de Montesquieu.
  2. Observations, p. 11.
  3. De la lettre publiée par le père Routh après la mort de Montesquieu je ne connais que ce passage. Je l'emprunte à l’édition des œuvres de Montesquieu publiée par Bastion, Paris, 1788, t. 1, Préface, p. 12.