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XLV
A L’ESPRIT DES LOIS.


tesquieu avait passé deux ans à Londres, il avait fait sa cour à la reine Anne, il avait vécu dans l'intimité de lord Chesterfield et des hommes politiques les plus considérables, il avait étudié avec soin et sur place le plus libre pays qui soit au monde [1], comment n’aurait-on pas été touché de ses jugements ? Si dédaigneux des autres nations que soient les Anglais, les écrivains français jouaient un assez grand rôle au dernier siècle pour qu a Londres même on ne fût pas indifférent à l'opinion d’un homme tel que Montesquieu. En revanche, l’éloge des institutions anglaises blessa profondément cette nombreuse classe de Français qui se faisait gloire de n’avoir que du mépris pour tout ce qui était étranger. « A force d’être ami des hommes, écrivait Crévier, l’auteur de l'Esprit des lois cesse d’aimer autant qu’il le doit sa patrie... L’Anglois doit être flatté en lisant cet ouvrage, mais cette lecture n’est capable que de mortifier les bons François [2]. » Montesquieu avait prévu cette accusation dangereuse ; c’est ce qui explique, comme je l’ai dit plus haut, l’obscurité de certains passages de l'Esprit des lois. Cette obscurité est un calcul.

Le fameux chapitre de la Constitution d’Angleterre nous apprend peu de chose aujourd’hui ; on a tant écrit sur ce sujet épuisé, mais en 1748 c’était une nouveauté. La Constitution anglaise n’est pas rédigée en articles comme nos constitutions modernes ; elle repose sur un ensemble de lois, d’usages, de précédents qui remontent d’âge en âge jusqu’à la Grande-Charte. Se reconnaître dans ce dédale était au dernier siècle le privilège des jurisconsultes parlementaires. Locke, dans son traité du Gouvernement civil avait commencé à séculariser la science, mais Montesquieu est le premier qui, par un exposé systématique, ait mis les principes de la Constitution anglaise à la portée de tout le monde ; il est le premier qui ait porté le flambeau dans cette œuvre massive, et

  1. Notes sur l'Angleterre.
  2. Observations sur l'Esprit des lois, p. 9.