avez de mieux à faire que de tous distraire à cette compagnie ; mais c'est à vous de me remercier de ce que ]e veut bien interrompre une lecture
délicieuse pour vous écrire. Cette lecture est un livre nouveau, dont il n y a que fort peu d'exemplaires à Paris, que l’on s’arrache et qu’on dévore. Je ne veux pas vous en dire le titre, encore moins la matière qu’il traite ; je vous laisse le plaisir de le deviner. Je n’entreprendrai pas non plus de vous en faire l'analyse ; cela seroit
au-dessus de mes forces ; mais je vous
dirai simplement ce que j’en pense. Tout le monde est capable de recevoir une impression ; et quand on a été affecté, on peut rendre la manière dont
on l’a été. Ce livre me parait le chef-d’œuvre de l’esprit, de la philosophie, de la métaphysique et du savoir ; il est écrit avec élégance, finesse, justesse et noblesse. Le choix du sujet est une preuve du génie de l’auteur, et la façon de le traiter en fait connaître l’étendue. Il a peint dans cet ouvrage la pureté de ses mœurs et la douceur de sa société. La préface est charmante ; on croit l’entendre dans la conversation. Ce livre a deux avantages qui lui sont particuliers : le premier, c’est qu’il ne peut pas être jugé par
les sots : il est hors de leur portée ; le second, c’est qu’il satisfait l’amour-propre
des gens qui seront capables de le lire ; il laisse l’action à leur esprit. L’auteur ne vous dit que ce qu'il croit nécessaire de vous dire ; il vous donne à penser presque autant qu’il vous en dit, et vous voyez qu’il en a pensé mille fois davantage. Il dit dans sa préface : Qui pourrait dire tout sans un mortel ennui ? C’est un écueil que tous les auteurs les plus célèbres en métaphysique et en morale n’ont pas su éviter ; on voit qu’ils
ont retourné leur sac. Il ne leur est rien resté sur les matières qu’ils ont traitées ; ils les ont épuisées, et ils ne supposent et ne demandent à leurs
lecteurs que la faculté de les entendre ; ils ne leur laissent pas croire qu’ils les soupçonnent de la moindre intelligence pour aller plus loin que ce
qu’on leur montre. Je m’aperçois que je suis prête à tomber dans l’inconvénient que je reproche à ces messieurs : il ne faut pas aussi vider mon
suc. Je veux que vous puissiez croire que je pense encore mieux que je ne dis sur ce livre divin. Je serois bien glorieuse si ce que je vous en ai dit
vous donnoit envie de le lire. Mais comme vous pourriez n’avoir pas assez de confiance en mes lumières pour entreprendre cette lecture sur ma parole, je vais, pour vous déterminer, vous dire un jugement que M. d'Aube
[1] en porte :
« Il trouve ce livre plat et superficiel, et prétend qu’il a été fait des
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Richer d’Aube, né à Rouen vers 1688, mort à Paris le 12 octobre 1752, avait publié en 1743 un
Essai sur les principes du droit et de la morale,
en un vol. in-4o. Il prétendait que Montesquieu lui avait pris toutes les idées qu’il a développées dans l'Esprit des lois. D’Aube, neveu de Fontenelle,
n’est plus connu aujourd’hui que par le vers de Rulhière :
Monsieur d’Aube,Qu’une ardeur de dispute éveillait avant l’aube.
et par l’épigramme de Voltaire : Sur la mort de M. d'Aube, neveu de M.de Fontenelle :
Qui frappe là ? dit Lucifer.— Ouvrez, c’est d’Aube — Tout l’enfer