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DE L'ESPRIT DES LOIS.


qu’elle confiera une trop grande puissance aux magistrats qu’elle enverra dans l’État conquis.

Dans quel danger n’eût pas été la république de Carthage, si Annibal avoit pris Rome ? Que n’eût-il pas fait dans sa ville après la victoire, lui qui y causa tant de révolutions après sa défaite [1] ?

Hannon n’auroit jamais pu persuader au sénat de ne point envoyer de secours à Annibal, s’il n’avoit fait parler que sa jalousie. Ce sénat, qu’Aristote nous dit avoir été si sage (chose que la prospérité de cette république nous prouve si bien), ne pouvoit être déterminé que par des raisons sensées. Il auroit fallu être trop stupide pour ne pas voir qu’une armée, à trois cents lieues de là, faisoit des pertes nécessaires qui dévoient être réparées.

Le parti d’Hannon vouloit qu’on livrât Annibal aux Romains [2]. On ne pouvoit pour lors craindre les Romains, on craignoit donc Annibal.

On ne pouvoit croire, dit-on, les succès [3] d'Annibal ; mais comment en douter ? Les Carthaginois, répandus par toute la terre, ignoroient-ils ce qui se passoit en Italie ? C’est parce qu’ils ne l’ignoroient pas, qu’on ne vouloit pas envoyer de secours à Annibal.

Hannon devient plus ferme après Trébie, après Trasimène, après Cannes : ce n’est point son incrédulité qui augmente, c’est sa crainte [4].

  1. Il étoit à la tète d’une faction. (M.) Tite-Live, XXXIII, XLVI.
  2. Hannon vouloit livrer Annibal aux Romains, comme Caton vouloit qu'on livrât César aux Gaulois. (M.)
  3. A. Le succès.
  4. Comparez Saint-Évremond, Réflexions sur les Romains, chap. VII.
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