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LIVRE X, CHAP. IV.


rant, dis-je, peut dérouter tout, et la tyrannie sourde est la première chose qui souffre la violence [1].

On a vu, par exemple, des États opprimés par les traitants, être soulagés par le conquérant, qui n’avoit ni les engagements ni les besoins qu avoit le prince légitime. Les abus se trouvoient corrigés, sans même que le conquérant les corrigeât [2].

Quelquefois la frugalité de la nation conquérante l’a mise en état de laisser aux vaincus le nécessaire, qui leur étoit ôté sous le prince légitime.

Une conquête peut détruire les préjugés nuisibles, et mettre, si j’ose parler ainsi, une nation sous un meilleur génie [3].

Quel bien les Espagnols ne pouvoient-ils pas faire aux Mexicains ? Ils avoient à leur donner une religion douce ; ils leur apportèrent une superstition furieuse. Ils auroient pu rendre libres les esclaves ; et ils rendirent esclaves les hommes libres. Ils pouvoient les éclairer sur l’abus des sacrifices humains ; au lieu de cela, ils les exterminèrent. Je n’aurois jamais fini si je voulois raconter tous les biens qu’ils ne firent pas, et tous les maux qu’ils firent.

C’est à un conquérant à réparer une partie des maux qu’il a faits. Je définis ainsi le droit de conquête : un droit nécessaire, légitime et malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immense, pour s’acquitter envers la nature humaine.

  1. C’est-à-dire qui admette, qui justifie.
  2. Inf., XIII, XVI.
  3. Montesquieu n'a pas l'air de soupçonner que pour un peuple conquis, rien ne peut remplacer la nationalité détruite et l'indépendance perdue. Quel bien-être peut compenser une misère morale de cette espèce ?
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