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CHAPITRE IV.


DES LOIS SOMPTUAIRES DANS LES MONARCHIES.


« Les Suions [1], nation germanique, rendent honneur aux richesses, dit Tacite [2] ; ce qui fait qu'ils vivent sous le gouvernement d'un seul. » Cela signifie bien que le luxe est singulièrement propre aux monarchies, et qu il n'y faut point de lois somptuaires.

Comme, par la constitution des monarchies, les richesses y sont inégalement partagées, il faut bien qu'il y ait du luxe. Si les riches n'y dépensent pas beaucoup, les pauvres mourront de faim. Il faut même que les riches y dépensent à proportion de l'inégalité des fortunes, et que, comme nous avons dit, le luxe y augmente dans cette proportion. Les richesses particulières n'ont augmenté que parce qu'elles ont ôté à une partie des citoyens le nécessaire physique [3] ; il faut donc qu'il leur soit rendu.

Ainsi, pour que l'État monarchique se soutienne,

  1. Les Suions occupèrent cette partie de l'Europe que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de Suède.
  2. De moribus Germanorum, C. XLIV. (M.)
  3. C'est une erreur constante chez Montesquieu de croire que la richesse du monde est une quantité fixe, et qu'on ne peut donner à l'un sans ôter à l'autre. Qui ne voit au contraire que la richesse se crée tous les jours par le travail ? Plus un pays est riche, plus il a de capitaux, et plus il y a de chances pour le pauvre de sortir de sa misère, non pas en prenant une part de la richesse d'autrui, mais en unissant son travail au capital d'autrui pour produire une richesse nouvelle.