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XV
A L’ESPRIT DES LOIS.


et noter à leur date les idées qui se succèdent dans le monde, et qui changent la face de la terre, on doit sentir qu’on ne peut étudier en bloc Athènes, Sparte et Rome pour en tirer l'idéal de la République. Il faut diviser par pays, par époque, si l'on veut éviter de généraliser hors de propos, et d’arriver à des conclusions qui étonnent le lecteur, mais ne portent point la conviction dans son âme. C’est là qu’est aujourd’hui pour nous le défaut le plus sensible de l'Esprit des lois. On y trouve une foule d’observations justes et fines, mais l’ensemble est confus, et on se refuse à suivre l’auteur dans une voie obscure et depuis longtemps abandonnée.

Il est un autre principe qui joue en ce moment un grand rôle dans la science, et que Montesquieu n’a pas connu. Je veux parler de la race. Chose remarquable ! un pressentiment, un instinct de génie attirait ce grand esprit vers l’Orient. On lui a reproché son trop de confiance dans des Relations suspectes ; il n’avait pas d’autres ressources à sa disposition ; il lui fallait deviner l’Inde, sa religion et ses lois. Aujourd’hui la connaissance du sanscrit nous ouvre un horizon nouveau ; l’Inde nous a révélé la fraternité des peuples aryens, indiens, persans, grecs, romains, celtes, Scandinaves, germains, slaves, etc. ; elle nous a donné le secret de leurs langues et de leurs croyances primitives, elle nous permettra bientôt d’établir sur des bases solides l’histoire commune des premières institutions. Cette histoire, si elle rencontre des mains habiles, sera une des grandes découvertes du XIXe siècle ; mais on voit dans quel lointain elle refoulera l’œuvre de Montesquieu.

Pour être justes, reconnaissons que s’il est un livre qui ait frayé le chemin à la science moderne, ce livre est l'Esprit des lois. En distinguant par grandes masses les étapes de la civilisation, Montesquieu amenait nécessairement ses successeurs à considérer les choses de plus près, et à étudier le développement intérieur de chaque peuple et de chaque institution.

Quels que soient les défauts de l'Esprit des lois, défauts