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LIVRE VI, CHAP. V.

De plus, il perdroit le plus bel attribut de sa souveraineté, qui est celui de faire grâce [1] ; il seroit insensé qu'il fît et défit ses jugements ; il ne voudroit pas être en contradiction avec lui-même. Outre que cela confondroît toutes les idées, on ne sauroit si un homme seroit absous ou s'il recevroit sa grâce.

Lorsque Louis XIII voulut être juge dans le procès du duc de la Valette [2], et qu'il appela pour cela dans son cabinet quelques officiers du parlement et quelques conseillers d'État, le roi les ayant forcés d'opiner sur le décret de prise-de-corps, le président de Bellièvre dit : « Qu'il voyoit dans cette affaire une chose étrange, un prince opiner au procès d'un de ses sujets ; que les rois ne s'étoient réservé que les grâces, et qu'ils renvoyaient les condamnations vers leurs officiers. Et Votre Majesté voudroit bien voir sur la sellette un homme devant Elle, qui, par son jugement, iroit dans une heure à la mort ! Que la face du prince, qui porte les grâces, ne peut soutenir cela ; que sa vue seule levoit les interdits des églises ; qu'on ne devoit sortir que content de devant le prince. » Lorsqu'on jugea le fonds, le même président dit dans son avis : « Cela est un jugement sans exemple, voire contre tous les exemples du passé jusqu'à huy, qu'un roi de France ait condamné en qualité de juge, par son avis, un gentilhomme à mort [3]. »

  1. Platon [Lettre VIII] ne pense pas que les rois, qui sont, dit-il, prêtres, puissent assister au jugement où l'on condamne à la mort, à l'exil, à la prison. (M.)
  2. Voyez la relation du procès fait à M. le duc de la Valette. Elle est imprimée dans les Mémoires de Montrésor, t. II, p. 62. (M.)
  3. Cela fut changé dans la suite. Voyez la même relation, t. II, p. 236. (M.) — C'étoit originairement un droit de la pairie, qu'un pair accusé criminellement fût jugé par le roi, son principal pair. François II avoit opiné dans le procès contre le prince de Condé, oncle d'Henri IV. Charles VII avoit donné sa voix dans le procès du duc d'Alençon ; et le Parlement même l'avoit assuré que c'étoit son devoir d'être à la tête des juges. Aujourd'hui, la présence du roi au jugement d'un pair, pour le condamner, paraîtroit on acte de tyrannie. (Voltaire.)