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X
INTRODUCTION


despotique, un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et ses caprices [1]. »

Il ne faut pas de longues réflexions pour voir que cette division est peu régulière ; elle ne satisfait pas l’esprit comme les catégories d’Aristote. Rien de plus aisé que de condamner Montesquieu ; mais d’où vient qu’un si beau génie n’ait pas suivi le chemin battu ? Est-ce désir de ne pas imiter Aristote ? Est-ce manie de se distinguer ? Cela est puéril et indigne de l’auteur. Non, il y a une raison que je crois avoir trouvée. Les Lettres persanes vont nous expliquer l’Esprit des lois. Ce n’est pas en ce point seulement qu’elles en sont le commentaire le plus sûr.

Dans la CXXXIe lettre persane, datée de 1719, par conséquent antérieure de vingt-neuf ans à la publication de l'Esprit des lois, Rhédi écrit de Venise à son ami Rica :


« Une des choses qui a le plus exercé ma curiosité en arrivant en Europe, c'est l'histoire et l'origine des Républiques...

« L’amour de la liberté, la haine des rois, conserva longtemps la Grèce dans l'indépendance, et étendit au loin le gouvernement républicain. Les villes grecques trouvèrent des alliés dans l'Asie Mineure ; elles y envoyèrent des colonies aussi libres qu’elles, qui leur servirent de remparts contre les entreprises des rois de Perse. Ce n'est pas tout : la Grèce peupla l’Italie ; l'Italie, l'Espagne, et peut-être les Gaules... Ces colonies grecques apportèrent avec elles un esprit de liberté qu’elles avoient pris dans ces deux pays. Aussi on ne voit guère, dans ces temps reculés, de monarchie dans l'Italie, l'Espagne, les Gaules.

. . . « Tout ceci se passoit en Europe ; car, pour l’Asie et l'Afrique, elles ont toujours été accablées par le despotisme, si vous en exceptez quelques villes de l'Asie Mineure dont nous avons parlé, et la république de Carthage en Afrique.

. . . « Il semble que la liberté soit faite pour le génie des peuples d’Europe, et la servitude pour celui des peuples d’Asie.

« César opprime la république romaine, et la soumet à un pouvoir arbitraire.

« L’Europe gémit longtemps sous un gouvernement militaire et violent, et la douceur romaine fut changée en une cruelle oppression.

« Cependant une infinité de nations inconnues sortirent du Nord, se

  1. Esprit des lois, II, I.