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LIVRE V, CHAP. VIII.


nobles ne lèvent pas les tributs. Le premier ordre de l’État ne s’en mêloit point à Rome ; on en chargea le second, et cela même eut dans la suite de grands inconvénients. Dans une aristocratie où les nobles lèveroient les tributs, tous les particuliers seroient à la discrétion des gens d’affaires ; il n’y auroit point de tribunal supérieur qui les corrigeât. Ceux d’entre eux préposés pour ôter les abus, aimeroient mieux jouir des abus. Les nobles seroient comme les princes des États despotiques, qui confisquent les biens de qui il leur plaît.

Bientôt les profits qu’on y feroit seroient regardés comme un patrimoine, que l’avarice étendroit à sa fantaisie. On feroit tomber les fermes [1], on réduiroit à rien les revenus publics. C’est par là que quelques États, sans avoir reçu d’échec qu’on puisse remarquer, tombent dans une foiblesse dont les voisins sont surpris, et qui étonne les citoyens même [2].

Il faut que les lois leur défendent aussi le commerce : des marchands si accrédités feroient toutes sortes de monopoles. Le commerce est la profession des gens égaux ; et, parmi les États despotiques, les plus misérables sont ceux où le prince est marchand.

Les lois de Venise [3] défendent aux nobles le commerce qui pourroit leur donner, même innocemment, des richesses exorbitantes.

Les lois doivent employer les moyens les plus efficaces pour que les nobles rendent justice au peuple. Si elles

  1. A. B. On baisseroit les fermes, etc.
  2. Est-ce une allusion à Venise ou à Gênes ?
  3. Amelot de la Houssaye, Du gouvernement de Venise, partie III. La loi Claudia défendoit aux sénateurs d’avoir en mer aucun vaisseau qui tint plus de quarante muids. Tite-Live, liv. XXI, c. LXIII. (M.)