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DE L'ESPRIT DES LOIS.


l’excès des richesses détruit cet esprit de commerce ; on voit tout à coup naître les désordres de l’inégalité, qui ne s’étoient pas encore fait sentir [1].

Pour maintenir l’esprit de commerce, il faut que les principaux citoyens le fassent eux-mêmes ; que cet esprit règne seul, et ne soit point croisé par un autre ; que toutes les lois le favorisent ; que ces mêmes lois, par leurs dispositions, divisant les fortunes à mesure que le commerce les grossit, mettent chaque citoyen pauvre dans une assez grande aisance, pour pouvoir travailler comme les autres ; et chaque citoyen riche dans une telle médiocrité, qu’il ait besoin de son travail pour conserver ou pour acquérir.

C’est une très-bonne loi, dans une république commerçante, que celle qui donne à tous les enfants une portion égale dans la succession des pères [2]. Il se trouve par là que, quelque fortune que le père ait faite, ses enfants, toujours moins riches que lui, sont portés à fuir le luxe, et à travailler comme lui. Je ne parle que des républiques commerçantes ; car, pour celles qui ne le sont pas, le législateur a bien d’autres règlements à faire [3].

Il y avoit dans la Grèce deux sortes de républiques : les unes étoient militaires, comme Lacédémone ; d’autres étoient commerçantes, comme Athènes. Dans les unes on vouloit que les citoyens fussent oisifs ; dans les autres on

  1. Parce que dans ce cas l'excès des richesses change l'émulation de se surpasser en affaires en une émulation de se surpasser de condition. Les emplois ne sont plus considérés comme des charges onéreuses, mais comme des moyens qui peuvent nous élever à des distinctions. On commence par mépriser le peuple, et on finit pas mépriser le commerçant. Voilà l’inégalité. (LUZAC.)
  2. Inf., ch. VIII.
  3. On y doit borner beaucoup les dots des femmes. (M.) Plutarque, Vie de Solon, c. XIII.