Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/255

Cette page n’a pas encore été corrigée
163
LIVRE IV, CHAP. VIII.


spéculation qui les rendent sauvages. On ne peut pas dire que la musique inspirât la vertu ; cela seroit inconcevable : mais elle empêchoit l’effet de la férocité de l’institution, et faisoit que l’âme avoit dans l’éducation une part qu’elle n’y auroit point eue.

Je suppose qu’il y ait parmi nous une société de gens si passionnés pour la chasse, qu’ils s’en occupassent uniquement ; il est sûr qu’ils en contracteroient une certaine rudesse. Si ces mêmes gens venoient à prendre encore du goût pour la musique, on trouveroit bientôt de la différence dans leurs manières et dans leurs mœurs. Enfin, les exercices des Grecs n’excitoient en eux qu’un genre de passions, la rudesse, la colère, la cruauté. La musique les excite toutes, et peut faire sentir à l’âme la douceur, la pitié, la tendresse, le doux plaisir. Nos auteurs de morale, qui, parmi nous, proscrivent si fort les théâtres, nous font assez sentir le pouvoir que la musique a sur nos âmes.

Si à la société dont j’ai parlé, on ne donnoit que des tambours et des airs de trompette, n’est-il pas vrai que l’on parviendroit moins à son but, que si l’on donnoit une musique tendre ? Les anciens avoient donc raison, lorsque, dans certaines circonstances, ils préféroient pour les mœurs un mode à un autre.

Mais, dira-t-on, pourquoi choisir la musique par préférence ? C’est que, de tous les plaisirs des sens, il n’y en a aucun qui corrompe moins l’âme. Nous rougissons de lire dans Plutarque [1], que les Thébains, pour adoucir les mœurs de leurs jeunes gens, établirent par les lois un amour qui devroit être proscrit par toutes les nations du monde.

  1. Vie de Pélopidas, ch. X. (M.) Cic, de Rép., IV, IV.
    _______________