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DE L'ESPRIT DES LOIS.


trouvé parmi les habitants et les gens de guerre que de bons citoyens, de braves soldats, et pas un bourreau ; ainsi, eux et moi, supplions Votre Majesté d’employer nos bras et nos vies à choses faisables ». Ce grand et généreux courage regardoit une lâcheté comme une chose impossible.

Il n’y a rien que l’honneur prescrive plus à la noblesse que de servir le prince à la guerre. En effet, c’est la profession distinguée, parce que ses hasards, ses succès et ses malheurs même conduisent à la grandeur. Mais, en imposant cette loi, l’honneur veut en être l’arbitre ; et, s’il se trouve choqué, il exige ou permet qu’on se retire chez soi [1].

Il veut qu’on puisse indifféremment aspirer aux emplois, ou les refuser ; il tient cette liberté au-dessus de la fortune même.

L’honneur a donc ses règles suprêmes, et l’éducation est obligée de s’y conformer [2]. Les principales sont, qu’il nous est bien permis de faire cas de notre fortune, mais qu’il nous est souverainement défendu d’en faire aucun de notre vie [3].

  1. Lettres persanes, LXXXIX.
  2. On dit ici ce qui est et non pas ce qui doit être : l'honneur est un préjugé que la religion travaille tantôt à détruire, tantôt à régler. (M.) — Quand on lit cette partie de l'ouvrage, on seroit tenté de croire que M. de Montesquieu a donné l'Esprit des lois, uniquement pour dépeindre le ridicule du caractère françois, et pour ramener sa nation à des principes plus solides et plus sensés. Il nous apprend ici dans une note qu'il dit ce qui est, et non pas ce qui doit être ; or, ce qu'il dit ici des monarchies en général convient uniquement à celle de France. On l'auroit accusé d’avoir fait une satire, si au lieu de parler en général, il n’eût indiqué que sa nation. (LUZAC.)
  3. Bossuet, Discours sur l'histoire universelle, IIIe partie, chap. VI : « Qu’est-ce qui rend notre noblesse si fière dans les combats et si hardie dans les entreprises ? C’est l’opinion, reçue dès l’enfance, et établie par le sentiment unanime de la nation, qu’un gentilhomme sans cœur se dégrade lui-même, et n’est pas digne de voir le jour. »