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LIVRE I, CHAP. II.


rience, l'on a trouvé dans les forêts des hommes sauvages [1] ; tout les fait trembler, tous les fait fuir.

Dans cet état, chacun se sent inférieur ; à peine chacun se sent-il égal. On ne chercheroit donc point à s’attaquer, et la paix seroit la première loi naturelle [2].

Le désir que Hobbes donne d’abord aux hommes de se subjuguer les uns les autres, n’est pas raisonnable [3]. L’idée de l’empire et de la domination est si composée, et dépend de tant d’autres idées, que ce ne seroit pas celle qu’il auroit d’abord.

Hobbes demande [4] « pourquoi, si les hommes ne sont pas naturellement en état de guerre, ils vont toujours armés ? et pourquoi ils ont des clefs pour fermer leurs maisons ? » Mais on ne sent pas que l’on attribue aux hommes, avant l’établissement des sociétés, ce qui ne peut leur arriver qu’après cet établissement, qui leur fait trouver des motifs pour s’attaquer et pour se défendre.

Au sentiment de sa foiblesse, l’homme joindroit le sentiment de ses besoins. Ainsi une autre loi naturelle seroit celle qui lui inspireroit de chercher à se nourrir.

J’ai dit que la crainte porteroit les hommes à se fuir : mais les marques d’une crainte réciproque les engageroient bientôt à s’approcher. D’ailleurs, il y seroient portés [5] par le plaisir qu’un animal sent à l’approche d’un animal de son espèce. De plus, ce charme que les deux sexes s’inspirent par leur différence, augmenteroit ce plaisir ; et la

  1. Témoin le sauvage qui fut trouvé dans les forêts de Hanover, et que l'on vit en Angleterre sous le règne de George Ier. (M.)
  2. C’est une pure hypothèse.
  3. Hobbes vivoit an milieu des guerres civiles. (HELVÉTIUS.)
  4. In prœf. lib. de Cive.
  5. A. B. Ils y seroient portés d’ailleurs par le plaisir qu’un animal sent à rapproche d’un animal de même espèce.