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DE L’ESPRIT DES LOIS.


contrées que les malheurs d’Ulysse ont rendues si célèbres ; tantôt, occupé des pratiques purement mécaniques, il nous explique les causes physiques des différents degrés de vitesse des navires, suivant leur différente grandeur et leur différente force ; d’où vient que nos navires vont presque à tous vents, et que ceux des anciens n’alloient presque qu’à un seul, et comment on mesuroit les charges qu’ils pouvoient porter. Ici il nous fait reconnoltre la situation et le commerce ancien d’Athènes vis-à-vis de la situation et du commerce présent de l’Angleterre ; là il nous fait contempler le projet de Séleucus de joindre le Pont-Euxin à la mer Caspienne ; et, parmi les grands desseins d’Alexandre, il s’arrête à admirer Alexandrie, ville que ce conquérant fonda dans la vue de s’assurer de l’Égypte, devenue le centre de l’univers. Par ces remarques variées, mais toujours intéressantes, on diroit que notre auteur, dans son tour de la terre, faisant pour ainsi dire reparoître à nos yeux tout ce que le torrent des âges avoit renversé, en agit comme le czar Pierre, qui, dans ses voyages de l’Europe, cherchoit à connoître les établissements utiles des différents pays, et à s’instruire des principales parties des gouvernements, de leurs forces, de leurs revenus, de leurs richesses, de leur commerce. A Paris, parmi tant de merveilles de cette ville enchanteresse, ou, pour mieux dire, dans cette école de toutes les nations, tandis qu’il se plaisoit à contempler les peintures du Louvre, il prenoit jusque entre ses bras l’auguste personne du roi encore enfant, pour le garantir de la foule, de la manière la plus tendre. A Amsterdam, au milieu de ces dépositaires, et, pour ainsi dire, de ces facteurs du commerce de toute la terre, il aimoit à travailler dans le chantier pour apprendre la construction des vaisseaux. En Angleterre, il étudioit comment cette nation a su, non moins par son commerce que par son gouvernement, se rendre la gardienne de la liberté de l'Europe. De retour en Russie, il forma le dessein hardi de la jonction des deux mers dans cette langue de terre où le Tanaïs s’approche du Volga, et il