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DE L’ESPRIT DES LOIS.


fondé sur l'économie. Par conséquent, comme dans ce dernier gouvernement l’esprit de commerce entraîne avec lui celui de frugalité, de modération, de travail, de sagesse, de tranquillité, d’ordre et de règle, il est aisé de comprendre comment il peut arriver que les grandes richesses des particuliers n’y corrompent point les mœurs.

C'est en développant les ressorts de ce commerce d’économie que notre auteur approfondit les principes qui rendent certains établissements plus propres au gouvernement de plusieurs qu’à celui d’un seul ; tels que les compagnies, les banques, les ports francs : principes qui ne laissent pourtant pas d’avoir leur limitation, lorsqu’on les examine sans les séparer de la sage administration de ceux qui sont à la tête des affaires même dans le gouvernement d’un seul.

Les grandes vérités que notre auteur établit ici pour se conduire dans les matières du commerce font voir combien on auroit tort de regarder les sciences comme incompatibles avec les affaires, surtout lorsqu’il fixe la juste idée de la liberté en fait de commerce, si éloignée de cette faculté qui seroit plutôt une servitude ; lorsqu’il nous fait sentir combien, pour le maintien de cette liberté, il est important que l’État soit neutre entre sa douane et son commerce ; lorsqu’il nous apprend que, dans ce genre d’affaires, la loi doit faire plus de cas de l’aisance publique que de la liberté d’un citoyen ; enfin lorsqu’il montre que, comme le pays qui possède le plus d’effets mobiliers de l’univers, savoir, de l’argent, des billets, des lettres de change, des actions sur les compagnies, des vaisseaux et des marchandises, gagne à faire le commerce, au contraire le pays qui est dépourvu de ces effets, et qui par conséquent est obligé d’envoyer toujours moins qu’il ne reçoit, se mettant lui-même hors d’équilibre, perd à faire le commerce, et s’appauvrit.

Ces théories capitales ne pouvoient guère demeurer stériles entre les mains de notre auteur : ainsi c’est par leur secours qu’il dicte des dispositions très-sensées sur le sujet du commerce, sans pourtant être gêné par une exactitude servile.