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DE L’ESPRIT DES LOIS.


Pierre [1], comme Aristote ne composa sa Politique que pour combattre celle de Platon, soutient que cette constitution fédérative ne sauroit subsister à moins qu’elle ne soit composée d’États de meme nature, surtout d’États républicains ; principe entièrement opposé au plan de la diète européenne de l'abbé de Saint-Pierre. Ce n’est pas à moi à prononcer sur cette question : je ne ferai que rappeler ici les suffrages respectables des Grotius, des Leibnitz et, qui plus est, de Henri le Grand ; suffrages qui font connoître que le projet de l'abbé de Saint-Pierre ne devoit pas être regardé comme un rêve. Peut-être le monde est-il à cet égard encore trop jeune pour établir en politique certaines maximes dont la fausse impossibilité ne paroîtra qu’aux yeux de la postérité ; mais qu’il me soit du moins permis de nous féliciter de la présente situation de l'Europe, qui ne sauroit être mieux disposée pour embrasser un si beau plan. Un meilleur droit des gens, la science de ce droit et celle des intérêts des souverains mises en système ; la bonne philosophie, l'étude des langues vivantes, la langue françoise devenue la langue de l'Europe ; un esprit général de commerce, qui a fait que la connoissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout, qui a éteint l'esprit de conquête et entretient celui de la paix, dont à présent jouit tout l’univers ; les places de commerce, les foires, le change, un luxe des productions des pays étrangers, les banques publiques, les compagnies de commerce, les grands chemins bien entretenus, la navigation facilitée et étendue, les postes, les papiers politiques, le goût des voyages, l’hospitalité, les bons règlements de santé ; l’équilibre mis en système ; les alliances, les traités de commerce, une parfaite harmonie entre les souverains [2] ; les ministres étrangers résidant aux cours, les consuls ; les universités, les académies, les correspondances littéraires, des savants étran-

  1. Chose singulière ! ces deux auteurs, par des chemins différents et souvent opposés, vont au même but : je veux dire à la douceur et à la modération. (BERTOLINI.)
  2. Cet écrit fut composé en 1754, temps d'une paix générale en Europe.