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LE TEMPLE DE GNIDE.


L’épouse touche au fatal sacrifice :
Dans ses rideaux il l’enferme avec soin :
Chaque déesse en rit avec malice.
On voit les dieux qui vont gémir au loin ;
Mais ce moment pour Mars est un supplice.

Vénus créa, dans ce temple enchanté,
Des jeux sacrés, et le culte qu’elle aime :
Toujours présente, elle en est elle-même
Et le pontife et la divinité.
De toutes parts on lui rend, dans les villes,
Un culte impur qui blesse la pudeur :
Il est un temple où des beautés faciles
Vont s’enrichir des fruits du déshonneur :
Il est un temple où l’épouse adultère
A son amant s’abandonne une fois,
Et va jeter au fond du sanctuaire
L’or criminel dont il paya son choix.
Ailleurs encore, on voit des courtisanes
A ses autels porter leurs dons profanes,
Plus honorés que ceux de la vertu ;
On voit enfin, sous l’habit de prêtresse,
Des hommes vils, offrir à la déesse
Le vain regret de leur sexe perdu.
Les Gnidiens rendent à l’immortelle
Des honneurs purs, qu’elle change en plaisirs.
Pour sacrifice, on offre des soupirs,
Et pour hommage, un cœur tendre et fidèle.
Partout, à Gnide, on adore une belle ;
Comme Vénus elle est fille des cieux :
A son amante on adresse des vœux.
Et c’est Vénus qui les reçoit pour elle.

D’heureux amants, remplis de leur ardeur,
Vont embrasser l’autel de la Constance ;
Ceux qu’une ingrate accable de rigueur
Y vont chercher la flatteuse Espérance.
Loin les cœurs froids qui n’ont jamais aimé !