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LE TEMPLE DE GNIDE.


Le fleuve épris est fixé dans son cours :
Le flot qui fuit trouve un flot immobile.
Se baigne-t-elle ? amant de sa beauté,
Il l’environne, il lui forme une chaîne ;
Vous le voyez, bouillant de volupté,
Qui se soulève, et l’embrasse, et l’entraîne :
La nymphe tremble, et pour la rassurer
Il la soutient sur sa liquide plaine,
Avec orgueil lentement la promène ;
Et vous diriez, près de s’en séparer,
Qu’en sons plaintifs il exhale sa peine.

Dans la campagne, un bois de myrte frais
Offre aux amants l’abri de son feuillage :
L’amour forma ces asiles discrets
Pour égarer le couple qu’il engage,
Toujours guidé vers des lieux plus secrets,
Toujours couvert d’un plus épais ombrage.

Non loin de là, des chênes sourcilleux.
De noirs sapins dont la voûte touffue
S’entr’ouvre à peine à la clarté des cieux,
Percent la terre, et cachent dans la nue
Leur vieux sommet qui se dérobe aux yeux.
D’un saint effroi l’âme y ressent l’atteinte ;
Des immortels on croit voir le séjour :
Ils ont sans doute habité cette enceinte,
Quand l’homme encor n’avait point vu le jour.

Hors de ces bois, et sur une colline,
S’élève un temple à Vénus consacré :
II fut bâti par une main divine ;
L’art l’enrichit, les Grâces l’ont paré.

Bel Adonis ! Vénus, dans ce lieu même,
A ton aspect brûla d’un nouveau feu.
Peuples, dit-elle, adorez ce que j’aime !
Dans mon empire il n’est plus d’autre dieu.