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LE TEMPLE DE GNIDE.


m’aimois ; hélas ! je ne voulois que savoir si tu vivois encore. Vénus vient de me répondre que tu m’aimes toujours.

Excuse, lui dis-je, un infortuné qui t’auroit haïe, si mon âme en étoit capable. Les dieux, dans les mains desquels je suis, peuvent me faire perdre la raison : ces dieux, Thémire, ne peuvent pas m’ôter mon amour[1].

La cruelle jalousie m’a agité, comme dans le Tartare on tourmente les ombres criminelles. J’en tire cet avantage, que je sens mieux le bonheur qu’il y a d’être aimé de toi, après l’affreuse situation où m’a mis la crainte de te perdre.

Viens donc avec moi, viens dans ce bois solitaire : il faut qu’à force d’aimer j’expie les crimes que j’ai faits. C’est un grand crime, Thémire, de te croire infidèle.

Jamais les bois de l’Élysée[2], que les dieux ont faits exprès pour la tranquillité des ombres qu’ils chérissent ; jamais les forêts de Dodone, qui parlent aux humains de leur félicité future ; ni les jardins des Hespérides, dont les arbres se courbent sous le poids de l’or qui compose leurs fruits, ne furent plus charmants que ce bocage enchanté par la présence de Thémire.

Je me souviens qu’un satyre, qui suivoit une nymphe qui fuyoit tout éplorée, nous vit, et s’arrêta. Heureux amants ! s’écria-t-il, vos yeux savent s’entendre et se répondre ; vos soupirs sont payés par des soupirs ! Mais moi, je passe ma vie sur les traces d’une bergère farouche ;

  1. Colardeau :

    . . . . . . . Ma raison est dans a main des dieux ;
    Mais mon cœur, tout à toi, n’est point sous leur empire.

  2. A. Jamais les bois d’Élysée, etc.