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CHANT QUATRIÈME.


Pendant que Thémire étoit occupée avec ses compagnes au culte de la déesse, j’entrai dans un bois solitaire : j’y trouvai le tendre Aristée. Nous nous étions vus le jour que nous allâmes consulter l’oracle : c’en fut assez pour nous engager à nous entretenir : car Vénus met dans le cœur, en la présence d’un habitant de Gnide, le charme secret que trouvent deux amis, lorsqu’après une longue absence ils sentent dans leurs bras le doux objet de leurs inquiétudes[1].

Ravis l’un de l’autre, nous sentîmes que notre cœur se donnoit ; il sembloit que la tendre Amitié étoit descendue du ciel, pour se placer[2] au milieu de nous. Nous nous racontâmes mille choses de notre vie. Voici, à peu près, ce que je lui dis :

Je suis né à Sybaris[3] où mon père Antiloque étoit prêtre de Vénus. On ne met point, dans cette ville, de

  1. Colardeau :


    Tel est des Gnidiens le prestige enchanteur,
    On éprouve à leur vue, à leur seule présence,
    Tout ce qu’après les maux et l’ennui de l’absence
    Deux fidèles amis, au moment du retour,
    Ont pu goûter jamais et d’ivresse et d’amour.

  2. A. Pour se replacer.
  3. A. Cibaris.
    Ce qu’on doit surtout remarquer dans le Temple de Gnide, c’est qu’Anacréon même y est toujours observateur et philosophe. Dans le quatrième chant, il paraît décrire les mœurs des Sybarites, et on s’aperçoit aisément que ces mœurs sont les nôtres. (D’Alembert.)