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LE TEMPLE DE GNIDE.


venu lui-même, plus distingué par son amour que par la pourpre royale : il passoit les jours et les nuits à dévorer de ses regards les charmes d’Oriane : ses yeux erroient sur son beau corps, et ses yeux ne se lassoient jamais[1]. Hélas ! disoit-il, je suis heureux ; mais c’est une chose qui n’est sue que de Vénus et de moi : mon bonheur seroit plus grand, s’il donnoit de l’envie ! Belle reine, quittez ces vains ornements ; faites tomber cette toile importune ; montrez-vous à l’univers ; laissez le prix de la beauté, et demandez des autels.

Auprès de là étoient vingt Babyloniennes : elles avoient des robes de pourpre brodées d’or ; elles croyoient que leur luxe augmentoit leur prix. Il y en avoit qui portoient, pour preuve de leur beauté, les richesses qu’elle leur avoit fait acquérir.

Plus loin, je vis cent femmes D’Égypte, qui avoient les yeux et les cheveux noirs. Leurs maris étoient auprès d’elles, et ils disoient : Les lois nous soumettent à vous en l’honneur d’Isis[2] : mais votre beauté a sur nous un empire plus fort que celui des lois ; nous vous obéissons avec le même plaisir que l’on obéit aux dieux ; nous sommes les plus heureux esclaves de l’univers.

Le devoir vous répond de notre fidélité ; mais il n’y a que l’amour qui puisse nous promettre la vôtre.

Soyez moins sensibles à la gloire que vous acquerrez à Gnide, qu’aux hommages que vous pouvez trouver dans votre maison, auprès d’un mari tranquille, qui, pendant

  1. Colardeau :


    Heureux de contempler l’épouse qu’il adore,
    Il la voit, la revoit, et veut la voir encore.

  2. Lettres persanes, XXXVIII.