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ARSACE ET ISMÉNIE.


et comblé de tant de bienfaits, que je ne sais si je suis un exemple de la bonne ou de la mauvaise fortune.

J’ai pris les armes contre vous pour me venger d’un mépris que vous n’aviez pas. Ni vous ni moi ne méritions que le ciel favorisât mes projets. Je vais retourner dans l’Hyrcanie, et j’y oublierais bientôt mes malheurs, si je ne comptais parmi mes malheurs celui de vous avoir vue, et celui de ne plus vous voir.

Votre beauté sera chantée dans tout l’Orient ; elle rendra le siècle où vous vivez plus célèbre que tous les autres ; et, dans les races futures, les noms d’Arsace et d’Isménie seront les titres les plus flatteurs pour les belles et les amants.

Un événement imprévu demanda la présence d’Arsace dans une province du royaume ; il quitta Isménie. Quels tendres adieux ! quelles douces larmes ! C’était moins un sujet de s’affliger qu’une occasion de s’attendrir. La peine de se quitter se joignit à l’idée de la douceur de se revoir.

Pendant l’absence du roi, tout fut, par ses soins, disposé de manière que le temps, le lieu, les personnes, chaque événement offrait à Isménie des marques de son souvenir. Il était éloigné, et ses actions disaient qu’il était auprès d’elle ; tout était d’intelligence pour lui rappeler Arsace ; elle ne trouvait point Arsace, mais elle trouvait son amant.

Arsace écrivait continuellement à Isménie. Elle lisait :

« J’ai vu les superbes villes qui conduisent à vos frontières ; j’ai vu des peuples innombrables tomber à mes genoux. Tout me disait que je régnais dans la Bactriane ; je ne voyais point celle qui m’en avait fait roi, et je ne l’étais plus. »

Il lui disait :