Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
417
ARSACE ET ISMÉNIE.

Mais, quand Aspar eut fait retirer le peuple, Arsace pencha la tête sur la main de la reine.

Ardasire, vous vivez ! vous vivez, ma chère Ardasire ! Je mourais tous les jours de douleur. Comment les dieux vous ont-ils rendue à la vie ?

Elle se hâta de lui raconter comment une de ses femmes avait substitué au poison une liqueur enivrante. Elle avait été trois jours sans mouvement ; on l’avait rendue à la vie : sa première parole avait été le nom d’Arsace ; ses yeux ne s’étaient ouverts que pour le voir ; elle l’avait fait chercher ; elle l’avait cherché elle-même. Aspar l’avait fait enlever, et, après la mort de sa sœur, il l’avait placée sur le trône.

Aspar avait rendu éclatante l’entrevue d’Arsace et d’Isménie. Il se ressouvenait de la dernière sédition. Il croyait qu’après avoir pris sur lui de mettre Isménie sur le trône, il n’était pas à propos qu’il parût encore avoir contribué à y placer Arsace. Il avait pour maxime de ne faire jamais lui-même ce que les autres pouvaient faire, et d’aimer le bien, de quelque main qu’il pût venir. D’ailleurs, connaissant la beauté du caractère d’Arsace et d’Isménie, il désirait de les faire paraître dans leur jour. Il voulait leur concilier ce respect que s’attirent toujours les grandes âmes dans toutes les occasions où elles peuvent se montrer. Il cherchait à leur attirer cet amour que l’on porte à ceux qui ont éprouvé de grands malheurs. Il voulait faire naître cette admiration que l’on a pour tous ceux qui sont capables de sentir les belles passions. Enfin il croyait que rien n’était plus propre à faire perdre à Arsace le titre d’étranger, et à lui faire trouver celui de Bactrien dans tous les cœurs des peuples de la Bactriane.

Arsace jouissait d’un bonheur qui lui paraissait incon-