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ARSACE ET ISMÉNIE.


sait à préparer un grand événement, et non pas à le hâter.

Deux jours après, le bruit se répandit que l’eunuque avait mis sur le trône une fausse Isménie. On passa des murmures à la sédition. Le peuple furieux entoura le palais ; il demanda à haute voix la tête d’Aspar. L’eunuque fit ouvrir une des portes, et, monté sur un éléphant, il s’avança dans la foule. Bactriens, dit-il, écoutez-moi. Et comme on murmurait encore : Écoutez-moi, vous dis-je. Si vous pouvez me faire mourir à présent, vous pourrez dans un moment me faire mourir tout de même. Voici un papier écrit et scellé de la main du feu roi : prosternez-vous, adorez-le ; je vais le lire.

Il le lut :

« Le ciel m’a donné deux filles qui se ressemblent au point que tous les yeux peuvent s’y tromper. Je crains que cela ne donne occasion à de plus grands troubles et à des guerres plus funestes. Vous donc, Aspar, lumière de l’empire, prenez la plus jeune des deux ; envoyez-la secrètement dans la Médie, et faites-en prendre soin. Qu’elle y reste sous un nom supposé, tandis que le bien de l’État le demandera. »

Il porta cet écrit au-dessus de sa tête, et il s’inclina ; puis reprenant la parole :

« Isménie est morte ; n’en doutez pas ; mais sa sœur, la jeune Isménie, est sur le trône. Voudriez-vous vous plaindre de ce que, voyant la mort de la reine approcher, j’ai fait venir sa sœur du fond de l’Asie ? Me reprocheriez-vous d’avoir été assez heureux pour vous la rendre et la placer sur un trône qui, depuis la mort de la reine sa sœur, lui appartient ? Si j’ai tu la mort de la reine, l’état des affaires ne l’a-t-il pas demandé ? Me blâmez-vous d’avoir fait une action de fidélité avec prudence ? Posez donc les