Je suis arrivé trois jours avant la bataille, et j’ai fait l’action que vous connaissez. J’aurais percé le fils du tyran ; j’ai mieux aimé le faire prisonnier. Je veux qu’il traîne dans la honte et dans les fers une vie aussi malheureuse que la mienne. J’espère que quelque jour il apprendra que j’aurai fait mourir le dernier des siens. J’avoue pourtant que, depuis que je suis vengé, je ne me trouve pas plus heureux ; et je sens bien que l’espoir de la vengeance flatte plus que la vengeance même. Ma rage que j’ai satisfaite, l’action que vous avez vue, les acclamations du peuple, seigneur, votre amitié même, ne me rendent point ce que j’ai perdu.
La surprise d’Aspar avait commencé presque avec le récit qu’il avait entendu. Sitôt qu’il avait ouï le nom d’Arsace, il avait reconnu le mari de la reine. Des raisons d’État l’avaient obligé d’envoyer chez les Mèdes Isménie, la plus jeune des filles du dernier roi, et il l’y avait fait élever en secret sous le nom d’Ardasire. Il l’avait mariée à Arsace ; il avait toujours eu des gens affidés dans le sérail d’Arsace ; il était le génie qui, par ces mêmes gens, avait répandu tant de richesses dans la maison d’Arsace, et qui, par des voies très-simples, avait fait imaginer tant de prodiges.
Il avait eu de très-grandes raisons pour cacher à Arsace la naissance d’Ardasire. Arsace, qui avait beaucoup de courage, aurait pu faire valoir les droits de sa femme sur la Bactriane, et la troubler.
Mais ces raisons ne subsistaient plus, et, quand il entendit le récit d’Arsace, il eut mille fois envie de l’interrompre ; mais il crut qu’il n’était pas encore temps de lui apprendre son sort. Un ministre accoutumé à arrêter ses mouvements revenait toujours à la prudence ; il pen-