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ARSACE ET ISMÉNIE.


avait toujours quelque chose à raccommoder à ma parure : elle défaisait mes cheveux pour les arranger encore ; elle n’était jamais contente de ce qu’elle avait fait.

Un jour on vint me dire qu’elle me permettait de venir la voir. Je la trouvai sur un sofa de pourpre : ses voiles la couvraient encore ; sa tête était mollement penchée, et elle semblait être dans une douce langueur. J’approchai, et une de ses femmes me parla ainsi : L’amour vous favorise ; c’est lui qui, sous ce déguisement, vous a fait venir ici. La princesse vous aime : tous les cœurs lui seraient soumis, et elle ne veut que le vôtre.

Comment, dis-je en soupirant, pourrais-je donner un cœur qui n’est pas à moi ? Ma chère Ardasire en est la maîtresse ; elle le sera toujours.

Je ne vis point qu’Ardasire marquât d’émotion à ces paroles ; mais elle m’a dit depuis qu’elle n’a jamais senti une si grande joie.

Téméraire, me dit cette femme, la princesse doit être offensée comme les dieux lorsqu’on est assez malheureux pour ne pas les aimer.

Je lui rendrai, répondis-je, toutes sortes d’hommages ; mon respect, ma reconnaissance, ne finiront jamais ; mais le destin, le cruel destin, ne me permet point de l’aimer. Grande princesse, ajoutai-je en me jetant à ses genoux, je vous conjure, par votre gloire, d’oublier un homme qui, par un amour éternel pour un autre, ne sera jamais digne de vous.

J’entendis qu’elle jeta un profond soupir : je crus m’apercevoir que son visage était couvert de larmes. Je me reprochais mon insensibilité ; j’aurais voulu, ce que je ne trouvais pas possible, être fidèle à mon amour, et ne pas désespérer le sien.