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ARSACE ET ISMÉNIE.


sur ma beauté, comme si j’eusse été une fille du palais.

Ardasire, qui savait que la passion pour la gloire m’avait déterminé à la quitter, songea à amollir mon courage par toutes sortes de moyens. Je fus mis entre les mains de deux eunuques. On passait les journées à me parer ; on composait mon teint ; on me baignait ; on versait sur moi les essences les plus délicieuses. Je ne sortais jamais de la maison ; on m’apprenait à travailler moi-même à ma parure ; et surtout on voulait m’accoutumer à cette obéissance, sous laquelle les femmes sont abattues dans les grands sérails d’Orient.

J’étais indigné de me voir traité ainsi. Il n’y a rien que je n’eusse osé pour rompre mes chaînes ; mais, me voyant sans armes, entouré de gens qui avaient toujours les yeux sur moi, je ne craignais pas d’entreprendre, mais de manquer mon entreprise. J’espérais que, dans la suite, je serais moins soigneusement gardé, que je pourrais corrompre quelque esclave, et sortir de ce séjour, ou mourir.

Je l’avouerai même ; une espèce de curiosité de voir le dénoûment de tout ceci semblait ralentir mes pensées. Dans la honte, la douleur et la confusion, j’étais surpris de n’en avoir pas davantage. Mon âme formait des projets ; ils finissaient tous par un certain trouble ; un charme secret, une force inconnue, me retenaient dans ce palais.

La feinte princesse était toujours voilée, et je n’entendais jamais sa voix. Elle passait presque toute la journée à me regarder par une jalousie pratiquée à ma chambre. Quelquefois elle me faisait venir à son appartement. Là, ses filles chantaient les airs les plus tendres ; il me semblait que tout exprimait son amour. Je n’étais jamais assez près d’elle ; elle n’était occupée que de moi ; il y