pleurer que vos malheurs, et que je serais toute ma vie insensible sur les miens… »
Je ne pus lire cette lettre sans verser des larmes. Mon cœur fut saisi de tristesse, et au sentiment de pitié se joignit un cruel remords de faire le malheur de ce que j’aimais plus que ma vie.
Il me vint dans l’esprit d’engager Ardasire à venir à la cour : je ne restai sur cette idée qu’un moment.
La cour de Margiane est presque la seule d’Asie où les femmes ne sont point séparées du commerce des hommes. Le roi était jeune : je pensai qu’il pouvait tout, et je pensai qu’il pouvait aimer. Ardasire aurait pu lui plaire, et cette idée était pour moi plus effrayante que mille morts.
Je n’avais d’autre parti à prendre que de retourner auprès d’elle. Vous serez étonné quand vous saurez ce qui m’arrêta.
J’attendais à tout moment des marques brillantes de la reconnaissance du roi. Je m’imaginai que, paraissant aux yeux d’Ardasire avec un nouvel éclat, je me justifierais plus aisément auprès d’elle. Je pensai qu’elle m’en aimerait plus, et je goûtais d’avance le plaisir d’aller porter ma nouvelle fortune à ses pieds.
Je lui appris la raison qui me faisait différer mon départ, et ce fut cela même qui la mit au désespoir.
Ma faveur auprès du roi avait été si rapide qu’on l’attribua au goût que la princesse, sœur du roi, avait paru avoir pour moi. C’est une de ces choses que l’on croit toujours, lorsqu’elles ont été dites une fois. Un esclave qu’Ardasire avait mis auprès de moi lui écrivit ce qu’il avait entendu dire. L’idée d’une rivale fut désolante pour elle. Ce fut bien pis lorsqu’elle apprit les actions que je venais de faire. Elle ne douta point que tant de