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ARSACE ET ISMÉNIE.


rang ni de dignité que je ne pusse espérer dans la Margiane.

J’eus bientôt une occasion de justifier sa faveur. La cour de Margiane vivait depuis longtemps dans une profonde paix. Elle apprit qu’une multitude infinie de Barbares s’était présentée sur la frontière, qu’elle avait taillé en pièces l’armée qu’on lui avait opposée, et qu’elle marchait à grands pas vers la capitale. Quand la ville aurait été prise d’assaut, la cour ne serait pas tombée dans une plus affreuse consternation. Ces gens-là n’avaient jamais connu que la prospérité ; ils ne savaient pas distinguer les malheurs d’avec les malheurs, et ce qui peut se rétablir d’avec ce qui est irréparable. On assembla à la hâte un conseil ; et, comme j’étais auprès du roi, je fus de ce conseil. Le roi était éperdu, et ses conseillers n’avaient plus de sens. Il était clair qu’il était impossible de les sauver, si on ne leur rendait le courage. Le premier ministre ouvrit les avis. Il proposa de faire sauver le roi et d’envoyer au général ennemi les clefs de la ville. Il allait dire ses raisons, et tout le conseil allait les suivre. Je me levai pendant qu’il parlait, et je lui tins ce discours : Si tu dis encore un mot, je te tue. Il ne faut pas qu’un roi magnanime et tous les braves gens qui sont ici perdent un temps précieux à écouter tes lâches conseils. Et me tournant vers le roi : Seigneur, un grand État ne tombe pas d’un seul coup. Vous avez une infinité de ressources ; et quand vous n’en aurez plus, vous délibérerez avec cet homme si vous devez mourir, ou suivre de lâches conseils. Amis, je jure avec vous que nous défendrons le roi jusqu’au dernier soupir. Suivons-le, armons le peuple, et faisons-lui part de notre courage.

On se mit en défense dans la ville, et je me saisis d’un