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ARSACE ET ISMÉNIE.


grâces, le son de sa voix, le charme de ses discours, tout m’enchantait. Je voulais toujours l’entendre ; je ne me lassais jamais de la voir. Il n’y avait rien pour moi de si parfait dans la nature ; mon imagination ne pouvait me dire que ce que je trouvais en elle ; et quand je pensais au bonheur dont les humains peuvent être capables, je voyais toujours le mien.

Ma naissance, mes richesses, mon âge et quelques avantages personnels déterminèrent le roi à me donner sa fille. C’est une coutume inviolable des Mèdes, que ceux qui reçoivent un pareil honneur renvoient toutes leurs femmes. Je ne vis dans cette grande alliance que la perte de ce que j’avais dans le monde de plus cher ; mais il me fallut dévorer mes larmes, et montrer de la gaîté. Pendant que toute la cour me félicitait d’une faveur dont elle est toujours enivrée, Ardasire ne demandait point à me voir, et moi je craignais sa présence, et je la cherchais. J’allai dans son appartement ; j’étais désolé. Ardasire, lui dis-je, je vous perds… Mais, sans me faire ni caresses ni reproches, sans lever les yeux, sans verser de larmes, elle garda un profond silence ; une pâleur mortelle paraissait sur son visage, et j’y voyais une certaine indignation mêlée de désespoir.

Je voulus l’embrasser ; elle me parut glacée, et je ne lui sentis de mouvement que pour échapper de mes bras.

Ce ne fut point la crainte de mourir qui me fit accepter la princesse ; et, si je n’avais tremblé pour Ardasire, je me serais sans doute exposé à la plus affreuse vengeance. Mais quand je me représentais que mon refus serait infailliblement suivi de sa mort, mon esprit se confondait, et je m’abandonnais à mon malheur.

Je fus conduit dans le palais du roi, et il ne me fut