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POLITIQUE DES ROMAINS.


conquêtes un dieu qui eût du rapport à quelqu’un de ceux qu’on adorait à Rome, ils l’adoptaient, pour ainsi dire, en lui donnant le nom de la divinité romaine, et lui accordaient, si j’ose me servir de cette expression, le droit de bourgeoisie dans leur ville. Ainsi, lorsqu’ils trouvaient quelque héros fameux qui eût purgé la terre de quelque monstre, ou soumis quelque peuple barbare, ils lui donnaient aussitôt le nom d’Hercule. « Nous avons percé jusqu’à l’Océan, dit Tacite[1], et nous y avons trouvé les colonnes d’Hercule ; soit qu’Hercule y ait été, soit que nous ayons attribué à ce héros tous les faits dignes de sa gloire. »

Varron a compté quarante-quatre de ces dompteurs de monstres ; Cicéron[2] n’en a compté que six, vingt-deux Muses, cinq Soleils, quatre Vulcains, cinq Mercures, quatre Apollons, trois Jupiters.

Eusèbe va plus loin[3] : il compte presque autant de Jupiters que de peuples.

Les Romains, qui n’avaient proprement d’autre divinité que le génie de la république, ne faisaient point d’attention au désordre et à la confusion qu’ils jetaient dans la mythologie : la crédulité des peuples, qui est toujours au-dessus du ridicule et de l’extravagant, réparait tout.

  1. Ipsum quinetiam Oceanum illa tentavimus ; et superesse adhuc Herculis columnas fama vulgavit, sive adiit Hercules, seu quidquid ubique magnificum est, in claritatem ejus referre consensimus. De moribus Germanorum, cap. XXXIV. (M.)
  2. De natura Deorum, lib. III, cap. XVI, p. 332 ; cap. XXI, p. 340 ; cap. XXII, p. 341 ; cap. XXIII, ibid. (M.)
  3. Prœparatio evangelica, lib. III. (M.)