Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/384

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368
POLITIQUE DES ROMAINS


et de l’austérité de Caton. Je n’aurais jamais fait, si je voulais épuiser tous les exemples.

Quoique les magistrats ne donnassent pas dans la religion du peuple, il ne faut pas croire qu’ils n’en eussent point. M. Cudworth[1] a fort bien prouvé que ceux qui étaient éclairés parmi les païens adoraient une divinité suprême, dont les divinités du peuple n’étaient qu’une participation. Les païens, très-peu scrupuleux dans le culte, croyaient qu’il était indifférent d’adorer la divinité même, ou les manifestations de la divinité ; d’adorer, par exemple, dans Vénus, la puissance passive de la nature, ou la divinité suprême, en tant qu’elle est susceptible de toute génération ; de rendre un culte au soleil, ou à l’Être suprême, en tant qu’il anime les plantes et rend la terre féconde par sa chaleur. Ainsi le stoïcien Balbus dit, dans Cicéron[2], « que Dieu participe, par sa nature, à toutes les choses d’ici-bas ; qu’il est Cérès sur la terre, Neptune sur les mers ». Nous en saurions davantage si nous avions le livre qu’Asclépiade composa, intitulé l’Harmonie de toutes les théologies.

Comme le dogme de l’âme du monde était presque universellement reçu, et que l’on regardait chaque partie de l’univers comme un membre vivant dans lequel cette âme était répandue, il semblait qu’il était permis d’adorer indifféremment toutes ces parties, et que le culte devait être arbitraire comme était le dogme.

  1. Cudworth, philosophe anglais (1617-1688), a laissé un Traité sur le caractère éternel et immuable de la morale. C’est sans doute à cet ouvrage que Montesquieu fait allusion.
  2. Deus pertinens per naturam cujusque rei, per terras Ceres, per maria Neptunus, alii per alia, poterunt intelligi : qui qualesque sint, quoque eos nomine consuetudo nuncupaverit, hos deos et venerari et colere debemus. De nat. deorum, lib. II, cap. XXVIII, p. 210. (M.)