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DANS LA RELIGION.


allait même quelquefois jusqu’à purifier les armées et les flottes, après quoi chacun reprenait courage[1].

Scévola, grand pontife, et Varron, un de leurs grands théologiens, disaient qu’il était nécessaire que le peuple ignorât beaucoup de choses vraies, et en crût beaucoup de fausses : saint Augustin dit[2] que Varron avait découvert par là tout le secret des politiques et des ministres d’État.

Le même Scévola, au rapport de saint Augustin[3], divisait les dieux en trois classes : ceux qui avaient été établis par les poëtes, ceux qui avaient été établis par les philosophes, et ceux qui avaient été établis par les magistrats, à principibus civitatis.

Ceux qui lisent l’histoire romaine, et qui sont un peu clairvoyants, trouvent à chaque pas des traits de la politique dont nous parlons. Ainsi on voit Cicéron qui, en particulier, et parmi ses amis, fait à chaque moment une confession d’incrédulité[4], parler en public avec un zèle extraordinaire contre l’impiété de Verrès. On voit un Clodius, qui avait insolemment profané les mystères de la bonne déesse, et dont l’impiété avait été marquée par vingt arrêts du sénat, faire lui-même une harangue remplie de zèle à ce sénat qui l’avait foudroyé, contre le mépris des pratiques anciennes et de la religion. On voit un Salluste, le plus corrompu de tous les citoyens, mettre à la tête de ses ouvrages une préface digne de la gravité

  1. Invoquer la divinité dans les fléaux et les malheurs est une croyance aussi vieille que le monde ; il n’y faut pas voir un calcul de la politique romaine, mais la pente naturelle de l’esprit humain.
  2. Totum consilium prodidit sapientum per quod civitates et populi regerentur. De civit. Dei, lib. IV, cap. XXXI. (M.)
  3. De civit. Dei, lib. IV, cap. XXXI. (M.)
  4. Adeone me delirare censes ut ista credam. (M.)