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POLITIQUE DES ROMAINS


neur de la déesse Mania, consulta l’oracle d’Apollon, qui répondit obscurément, et dit qu’il fallait sacrifier têtes pour têtes, capitibus pro capitibus supplicandum. Ce prince, plus cruel encore que superstitieux, fit immoler des enfants ; mais Junius Brutus changea ce sacrifice horrible ; car il le fit faire avec des têtes d’ail et de pavot, et par là remplit ou éluda l’oracle[1].

On coupait le nœud gordien quand on ne pouvait pas le délier ; ainsi Claudius Pulcher, voulant donner un combat naval, fit jeter les poulets sacrés à la mer, afin de les faire boire, disait-il, puisqu’ils ne voulaient pas manger[2].

Il est vrai qu’on punissait quelquefois un général de n’avoir pas suivi les présages ; et cela même était un nouvel effet de la politique des Romains. On voulait faire voir au peuple que les mauvais succès, les villes prises, les batailles perdues, n’étaient point l’effet d’une mauvaise constitution de l’État, ou de la faiblesse de la république, mais de l’impiété d’un citoyen, contre lequel les dieux étaient irrités. Avec cette persuasion, il n’était pas difficile de rendre la confiance au peuple ; il ne fallait pour cela que quelques cérémonies et quelques sacrifices. Ainsi, lorsque la ville était menacée ou affligée de quelque malheur, on ne manquait pas d’en chercher la cause, qui était toujours la colère de quelque dieu dont on avait négligé le culte : il suffisait, pour s’en garantir, de faire des sacrifices et des processions, de purifier la ville avec des torches, du soufre et de l’eau salée. On faisait faire à la victime le tour des remparts avant de l’égorger, ce qui s’appelait sacrificium amburbium, et amburbiale. On

  1. Macrob., Saturnal., lib. I, cap. VII. (M.)
  2. Quia esse nolunt, bibant. Valerius Maximus, lib. I, cap. IV, art. 3. (M.)