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LE TEMPLE DE GNIDE.


doit se rendre : mais c’est une profanation de se rendre sans aimer.

L’Amour est attentif à la félicité des Gnidiens : il choisit les traits dont il les blesse. Lorsqu’il voit une amante affligée, accablée des rigueurs d’un amant, il prend une flèche trempée dans les eaux du fleuve d’oubli. Quand il voit deux amants qui commencent à s’aimer, il tire sans cesse sur eux de nouveaux traits. Quand il en voit dont l’amour s’affoiblit, il le fait soudain renaître ou mourir : car il épargne toujours les derniers jours d’une passion languissante : on ne passe point par les dégoûts avant de cesser d’aimer ; mais de plus grandes douceurs font oublier les moindres.

L’Amour a ôté de son carquois les traits cruels dont il blessa Phèdre et Ariane, qui, mêlés d’amour et de haine, servent à montrer sa puissance, comme la foudre sert à faire connoitre l’empire de Jupiter.

A mesure que le dieu donne le plaisir d’aimer, Vénus y joint le bonheur de plaire[1].

Les filles entrent chaque jour dans le sanctuaire, pour faire leur prière à Vénus. Elles y expriment des sentiments naïfs comme le cœur qui les fait naître. Reine d’Amathonte, disoit une d’elles, ma flamme pour Tirsis est éteinte ; je ne te demande pas de me rendre mon amour ; fais seulement qu’Ixiphile m’aime.

Une autre disoit tout bas : Puissante déesse, donne-moi la force de cacher quelque temps mon amour à mon berger, pour augmenter le prix de l’aveu que je veux lui en faire.

Déesse de Cythère, disoit une autre, je cherche la

  1. A. A mesure que le dieu donne de l’amour, Vénus donne des grâces.