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DISSERTATION


SUR


LA POLITIQUE DES ROMAINS


DANS LA RELIGION


LUE A L’ACADÉMIE DE BORDEAUX
LE 18 JUIN 1716
[1].




Ce ne fut ni la crainte ni la piété qui établit la religion chez les Romains ; mais la nécessité où sont toutes les sociétés d’en avoir une. Les premiers rois ne furent pas moins attentifs à régler le culte et les cérémonies qu’à donner des lois et bâtir des murailles[2].

Je trouve cette différence entre les législateurs romains et ceux des autres peuples, que les premiers firent la religion pour l’État, et les autres l’État pour la religion[3].

  1. Cette dissertation ne fut imprimée qu’après la mort de Montesquieu.
  2. Dans cette œuvre de jeunesse, Montesquieu partage les erreurs de son temps. Il s’imagine que les religions ont été inventées par les fondateurs d’empire. Romulus, réunissant quelques bandits dans un bois, ou entourant d’une muraille le Palatin pour y mettre à l’abri son butin, est un sage et un prophète qui prépare à l’avance la foi et les destinées du grand peuple romain. Aujourd’hui on ne croit plus à de pareils miracles. Les religions ne sont pas l’œuvre d’un homme, cet homme fut-il roi ou empereur. Partout où l’on trouve des peuples, ils ont une langue et une religion ; choses qui n’ont rien de factice, mais qui sont le produit naturel de l’esprit humain. C’est à Benjamin Constant que revient l’honneur d’avoir montré qu’il n’y a rien de plus spontané et de moins artificiel que la religion.
  3. Il serait difficile de prouver cette assertion, au moins pour les Grecs.