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LYSIMAQUE




Lorsque Alexandre eut détruit l’empire des Perses, il voulut que l’on crût qu’il était fils de Jupiter. Les Macédoniens étoient indignés de voir ce prince rougir d’avoir Philippe pour père : leur mécontentement s’accrut lorsqu’ils lui virent prendre les mœurs, les habits et les manières des Perses ; et ils se reprochoient tous d’avoir tant fait pour un homme qui commençoit à les mépriser. Mais on murmuroit dans l’armée, et on ne parloit pas.

Un philosophe nommé Callisthène avoit suivi le roi dans son expédition. Un jour qu’il le salua à la manière des Grecs : « D’où vient, lui dit Alexandre, que tu ne m’adores pas ? — Seigneur, lui dit Callisthène, vous êtes chef de deux nations : l’une, esclave avant que vous l’eussiez soumise, ne l’est pas moins depuis que vous l’avez vaincue ; l’autre, libre avant qu’elle vous servît à remporter tant de victoires, l’est encore depuis que vous les avez remportées. Je suis Grec, seigneur ; et ce nom, vous l’avez élevé si haut, que, sans vous faire tort, il ne nous est plus permis de l’avilir. »

Les vices d’Alexandre étoient extrêmes comme ses vertus ; il étoit terrible dans sa colère ; elle le rendoit cruel. Il fit couper les pieds, le nez et les oreilles à Callisthène, ordonna qu’on le mît dans une cage de fer, et le fit porter ainsi à la suite de l’armée.

J’aimois Callisthène ; et, de tout temps, lorsque mes