Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
LE TEMPLE DE GNIDE.


croit l’y tenir pour jamais. La troupe importune se retire : il est charmé de la voir s’éloigner. Les déesses jouent entre elles ; mais les dieux paroissent tristes ; et la tristesse de Mars a quelque chose d’aussi sombre que la noire jalousie.

Charmée de la magnificence de son temple, la déesse elle-même y a voulu établir son culte : elle en a réglé les cérémonies, institué les fêtes ; et elle y est, en même temps, la divinité et la prêtresse.

Le culte qu’on lui rend presque par toute la terre, est plutôt une profanation, qu’une religion. Elle a des temples où toutes les filles de la ville se prostituent en son honneur, et se font une dot des profits de leur dévotion. Elle en a[1] où chaque femme mariée va, une fois en sa vie, se donner à celui qui la choisit, et jette dans le sanctuaire l’argent qu’elle a reçu. Il y en a d’autres où les courtisanes de tous les pays, plus honorées que les matrones, vont porter leurs offrandes. Il y en a, enfin, où les hommes se font eunuques, et s’habillent en femmes, pour servir dans le sanctuaire ; consacrant à la déesse, et le sexe qu’ils n’ont plus, et celui qu’ils ne peuvent pas avoir.

Mais elle a voulu que le peuple de Gnide eût un culte plus pur, et lui rendît des honneurs plus dignes d’elle. Là, les sacrifices sont des soupirs, et les offrandes un cœur tendre. Chaque amant adresse ses vœux à sa maîtresse, et Vénus les reçoit pour elle.

Partout où se trouve la beauté, on l’adore comme Vénus même : car la beauté est aussi divine qu’elle.

Les cœurs amoureux viennent dans le temple ; ils

  1. A. Il y en a d’autres.