Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
342
DIALOGUE DE SYLLA ET D'EUCRATE.

Quand les dieux ont souffert que Sylla se soit impunément fait dictateur dans Rome, ils y ont proscrit la liberté pour jamais. Il faudrait qu’ils fissent trop de miracles, pour arracher à présent du cœur de tous les capitaines romains l’ambition de régner. Vous leur avez appris qu’il y avait une voie bien plus sûre pour aller à la tyrannie, et la garder sans péril. Vous avez divulgué ce fatal secret, et ôté ce qui fait seul les bons citoyens d’une république trop riche et trop grande, le désespoir de pouvoir l’opprimer.


Il changea de visage, et se tut un moment. Je ne crains, me dit-il avec émotion, qu’un homme dans lequel je crois voir plusieurs Marius [1]. Le hasard, ou bien un destin plus fort, me l’a fait épargner. Je le regarde sans cesse ; j’étudie son âme : il y cache des desseins profonds. Mais s’il ose jamais former celui de commander à des hommes que j’ai faits mes égaux, je jure par les dieux que je punirai son insolence.

  1. Le jeune César. Suétone, César, c. I.