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GRANDEUR ET DÉCADENCE

De plus, pendant soixante ans que Constantinople resta entre les mains des Latins, les vaincus s’étant dispersés et les conquérants, occupés à la guerre, le commerce passa entièrement aux villes d’Italie, et Constantinople fut privée de ses richesses.

Le commerce même de l’intérieur se fit par les Latins. Les Grecs, nouvellement rétablis, et qui craignaient tout, voulurent se concilier les Génois en leur accordant la liberté de trafiquer sans payer des droits[1] ; et les Vénitiens, qui n’acceptèrent point de paix, mais quelques trêves, et qu’on ne voulut pas irriter, n’en payèrent pas non plus.

Quoique, avant la prise de Constantinople, Manuel Comnène eût laissé tomber la marine, cependant, comme le commerce subsistait encore, on pouvait facilement la rétablir. Mais, quand, dans le nouvel empire, on l’eut abandonnée, le mal fut sans remède, parce que l’impuissance augmenta toujours.

Cet État, qui dominait sur plusieurs îles, qui était partagé par la mer, et qui en était environné en tant d’endroits, n’avait point de vaisseaux pour y naviguer. Les provinces n’eurent plus de communication entre elles ; on obligea les peuples de se réfugier plus avant dans les terres pour éviter les pirates ; et, quand ils l’eurent fait, on leur ordonna de se retirer dans les forteresses pour se sauver des Turcs[2].

Les Turcs faisaient pour lors aux Grecs une guerre singulière : ils allaient proprement à la chasse des hommes ; ils traversaient quelquefois deux cents lieues de

  1. Cantacuzène, liv. IV. (M.)
  2. Pachymère, liv. VII. (M.)