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GRANDEUR ET DÉCADENCE


avaient beaucoup de crimes à expier, et qu’on leur proposait d’expier en suivant leur passion dominante : tout le monde prit donc la croix et les armes.

Les croisés, étant arrivés en Orient, assiégèrent Nicée et la prirent ; ils la rendirent aux Grecs, et, dans la consternation des infidèles, Alexis et Jean Comnène rechassèrent les Turcs jusqu’à l’Euphrate.

Mais, quel que fût l’avantage que les Grecs pussent tirer des expéditions des croisés, il n’y avait pas d’empereur qui ne frémît du péril de voir passer au milieu de ses États et se succéder des héros si fiers et de si grandes armées.

Ils cherchèrent donc à dégoûter l’Europe de ces entreprises, et les croisés trouvèrent partout des trahisons, de la perfidie, et tout ce qu’on peut attendre d’un ennemi timide.

Il faut avouer que les Français, qui avaient commencé ces expéditions, n’avaient rien fait pour se faire souffrir. Au travers des invectives d’Andronic Comnène contre nous[1], on voit, dans le fond, que, chez une nation étrangère, nous ne nous contraignions point, et que nous avions pour lors les défauts qu’on nous reproche aujourd’hui.

Un comte français alla se mettre sur le trône de l’empereur ; le comte Baudouin le tira par le bras et lui dit : « Vous devez savoir que, quand on est dans un pays, il en faut suivre les usages. Vraiment, voilà un beau paysan, répondit-il, de s’asseoir ici, tandis que tant de capitaines sont debout ! »

Les Allemands, qui passèrent ensuite, et qui étaient les meilleures gens du monde, firent une rude pénitence

  1. Histoire d’Alexis, son père, liv. X et XI. (M.)