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GRANDEUR ET DÉCADENCE

Enfin, les Barbares qui habitaient les bords du Danube s’étant établis, ils ne furent plus si redoutables et servirent même de barrière contre d’autres Barbares.

Ainsi, pendant que l’Empire était affaissé sous un mauvais gouvernement, des choses particulières le soutenaient. C’est ainsi que nous voyons aujourd’hui quelques nations de l’Europe[1] se maintenir, malgré leur faiblesse, par les trésors des Indes ; les états temporels du pape, par le respect que l’on a pour le souverain ; et les corsaires de Barbarie, par l’empêchement qu’ils mettent au commerce des petites nations, ce qui les rend utiles aux grandes[2].

L’empire des Turcs est à présent à peu près dans le même degré de faiblesse où était autrefois celui des Grecs[3]. Mais il subsistera longtemps : car, si quelque prince que ce fût mettait cet empire en péril en poursuivant ses conquêtes, les trois puissances commerçantes de l’Europe connaissent trop leurs affaires pour n’en pas prendre la défense sur-le-champ[4].

C’est leur félicité que Dieu ait permis qu’il y ait dans le monde des nations propres à posséder inutilement un grand empire[5].

  1. A. C'est ainsi que nous voyons aujourd'hui l'Espagne et le Portugal se maintenir, etc.
  2. Ils troublent la navigation des Italiens dans la Méditerranée. (M.)
  3. Lettres Persanes, XIX.
  4. Ainsi les projets contre le Turc, comme celui qui fut fait sous le pontificat de Léon X, par lequel l’empereur devait se rendre par la Bosnie à Constantinople ; le roi de France, par l’Albanie et la Grèce ; d’autres princes, s’embarquer dans leurs ports ; ces projets, dis-je, n’étaient pas sérieux, ou étaient faits par des gens qui ne voyaient pas l’intérêt de l’Europe. (M.)
  5. A. C'est leur félicité qu'il y ait dans le monde des Turs et des Espagnols, les hommes du monde les plus propres à posséder inutilement